Fritkots à l'honneur
Le lancement du festival
Et après le festival
Conférence débat du jeudi 13 décembre 2012
FRENCH FRIES OU FRITES BELGES
Brusselicious 2012
Ne dites plus
French Fries...Dites
BELGIAN FRIES !
Ce 13 décembre 2012
dans le cadre de Brusselicious, l’année de la gastronomie en Région de Bruxelles
Capitale, et en conclusion du Festival Fritkot, nous avons réuni la crème des
historiens culinaires. Objectif : tenter d’établir la paternité nationale
de la frite…
Pour assurer la neutralité et l’objectivité d'un débat historico-gastronomique
qui s'annonçait passionnel, nous avons fait appel à Philippe Ligron, professeur et historien culinaire basé à Lausanne.
A son signal, les deux
historiens belges, Pierre Leclerq
(ULB) et Roel Jacobs (Visitbrussels),
et la Française, Madeleine Ferrière (Faculté
de Lettres d'Avignon et Maison méditerranéenne des sciences de l'Homme, à
Aix-en-Provence), ont aligné leurs théories... De l’origine de la pomme de
terre, ils sont passés à ses cuissons au beurre, à la graisse, en bain de
graisse, entière, en tranches ou en bâtonnets…
Pour ces éminents spécialistes, la piste parisienne de la naissance de la
pomme de terre frite, aux alentours de la Révolution française, sur les pavés
du Pont Neuf est probante. Les marchands ambulants s'y pressaient alors pour y
proposer les versions 1.0 de notre « street food » actuelle. La pomme
de terre frite a donc pu s'y frayer un chemin, alors sous forme de tranches de
patate rissolées. L'historienne française Madeleine Ferrière relève toutefois
qu'il est vraisemblable que différentes origines de la frite aient pu cohabiter
dans le temps et dans l'espace, sans que l’on puisse en attribuer une, avec
certitude, à l’une ou l’autre nation...
La piste belgo-namuroise, souvent citée, des petits poissons découpés
dans des pommes de terre par les pauvres gens car il n'avaient pas accès, en
raison du gel de la Meuse, au menu fretin, doit elle être abandonnée. Popularisée
par feu Jo Gérard, elle est sujette à trop d’anachronismes et d'incohérences. La
plus criante étant que, selon le manuscrit familial qu'aurait retrouvé
l'historien, cette tradition de friture remonterait à 1680, époque à laquelle
la pomme de terre n'avait pas encore gagné les régions de Namur, Andenne et Dinant...
Citant Pierre Leclercq, Roel Jacobs rappelle encore qu'à cette époque la
graisse était rare, et donc chère, et que seuls les marchands ambulants
pouvaient alors avoir un débit suffisant pour en assurer la rentabilité. Ceci
explique le caractère principalement commercial et très nomade de la
préparation.
Nos fritkots, friteries et fritures belges seraient donc bien la résultante
de cette contrainte ! Et c'est donc dans le cadre de riches kermesses, dans
la Belgique en plein essor économique au XIXe siècle, que la frite
développe sa belgitude.
C'est alors que Pierre
Leclercq a créé la véritable surprise historique... Sous
réserve de la découverte de nouvelles sources, il a dévoilé une information qui
tend à ré-attribuer la paternité de la frite coupée en bâtonnets, la seule,
l'unique, à notre Royaume!
Le chercheur avait en
effet relevé une mention de « pommes de terre frites taillées en petits
bâtons » datée de 1859, dans un ouvrage du Français
Guillaume-Louis-Gustave Belèze.
Or, quatre ans plus
tôt, il a constaté que Monsieur Fritz – l'un des premiers frituristes belges
installés sur les foire – a changé la forme de ses pommes de terre frites. Dans
les années 1840, il nommait ses petits et grands paquets de frites des
« vigilantes » et des « omnibus », qu’il fait rouler sur le
champ de foire, comme il se plaît à le préciser dans ses publicités. Or cette
allusion claire à la forme ronde de ses frites disparaît en 1855, lorsqu’il a rebaptisé
ses paquets des « russes » et des « cosaques » - la guerre
de Crimée faisait rage à l’époque -, qui font plus penser à une forme de
personnage, plutôt qu’à une forme ronde. Jusqu’à preuve du contraire, nous
pouvons en conclure que l'authentique frite en bâtonnet dont nous nous régalons
au Royaume est née à la foire, vecteur de tant de nouveautés au XIXe
siècle.
Ce nouvel élément tend
à prouver l’antériorité historique belge face aux traces et/ou publications
françaises plus contemporaines.
Mais il y a plus encore ! Avec toute la gouaille qu'on lui connaît,
le cuisiner et chroniqueur Albert Verdeyen
a rappelé avec à-propos que la véritable frite ne l'est qu'à la condition
d'être préparée selon la recette de la double cuisson. C'est celle-ci et nulle
autre qui lui garantit d'être moelleuse à l'intérieur et croquante à
l'extérieur. Or la première trace écrite de cette double cuisson, l'historien
Pierre Leclercq l'a retrouvée dans un ouvrage – belge – signé Louisa Mathieu et
publié vers 1900-1910 : « Traité d'économie domestique et
d'hygiène ». C'est ainsi que les ménagères du pays ont introduit, au fil
des décennies, la culture de la frite dans les foyers belges, relayant la
tradition foraine.
Ce à quoi Albert Verdeyen n'a pas manqué d'ajouter que, si hors de nos
frontières la frite est avant tout considérée comme un accompagnement, chez
nous elle est l'ingrédient principal d'un repas. Et qu'il n'y a que chez nous
que ce repas se déguste avec convivialité dans ce cornet devenu symbole.
Le maître du débat, le Suisse Philippe
Ligron, soutenu par un public chaud comme une baraque à frites, a donc pu
conclure : vu tous ces éléments historiques et culturels nous pouvons
parler d’un véritable cocorico belge !
Ne dites plus jamais French
Fries, mais bien “Belgian Fries” !
Texte: Hugues Henry (homefrithome.com)
Organisation : Philip De Buck